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La mémoire se fond-elle dans le paysage?

du 01.10.2018 au 31.10.2018 Bureau du CIREMM Publication imprimer l'article

La mémoire se fond-elle dans le paysage?, Luba Jurgenson, Mémoires en jeu, n°7, octobre 2018

Le paysage est-il impassible ? Témoin muet du crime, il est aussi la scène par excellence de l’abandon qui le rend possible. À l’image du monde qui ne répond pas au cri, sinon par un écho.

Cet écho, reflet sans issue du corps privé d’extérieur et préfiguration de sa proche disparition, ne s’en inscrit pas moins dans une histoire culturelle de la perception. Au-delà de la déliaison qu’il signifie dans les circonstances extrêmes, le paysage est susceptible de faire lien : porteur en lui-même d’une mémoire (Halbwachs, p. 102), il est le support d’un improbable souvenir et, partant, d’un futur échange. Voir – ou imaginer – s’apparente alors à une volonté de survie.

On serait par conséquent tenté de dire qu’un paysage de violences ne peut se dévoiler que dans l’après-coup ; c’est précisément ce qu’affirme Varlam Chalamov dans une note de 1970: « Pas une fois je n’ai admiré le paysage. [Pendant les années de détention] Si ma mémoire en a retenu quelque chose, ce fut plus tard » (Chalamov, 2013a, p. 443). Les fragments paysagers qui émaillent ses textes sont par conséquent des reconstructions, des « traductions » de la langue du camp, repliée sur elle-même et réduite au vocabulaire de la survie, vers celle, plus riche et adressée, du témoignage. À partir de là, une piste se dessine pour l’analyse des paysages dans l’œuvre des témoins : révélateurs de la manière dont la mémoire chemine et se construit, ils sont en même temps des outils de transmission.

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